04/01/2023
La Bataille du Mans et le bataillon de Mobiles de Mamers le 10 janvier
11 janvier
Arrivé donc au Mans le 11 janvier à 9h00 par la route de Tours, le bataillon est dirigé vers le faubourg de Pontlieue, près de la place circulaire dite de « La Lune », vers midi. Le bataillon entre immédiatement à son poste avec sa brigade bien réduite et se trouve immédiatement incorporée dans une division improvisée mise sous le commandement du général Le Bouedec.
Le général Chanzy relate ces incorporations à la ligne de combat :
Sur la droite de nos lignes, dans le secteur sous les ordres de l'amiral Jauréguiberry, les choses étaient menées par lui avec son entrain et sa vigueur habituels, et le succès était des plus satisfaisants.
Parti le matin à quatre heures de Château-du-Loir, il arrivait à neuf heures à Pontlieue, ramenant neuf mille hommes appartenant principalement aux colonnes Bérard et Jobey, qu'il avait dès la veille dirigées sur le Mans. […]
De ce qu'il ramenait, l'amiral avait organisé, indépendamment de la Brigade Desmaisons, une division de deux brigades sous le commandement du général Le Bouédec, qui venait d'être mis à sa disposition; la première, forte de trois bataillons du 41ème de marche, d'un bataillon du 74ème Mobiles[1] et d'une batterie de 4 sous les ordres du colonel Bérard; la deuxième, de trois bataillons du 40ème de marche, du 16ème Bataillon de chasseurs à pied, d'une batterie de 4 et de deux cent cinquante cavaliers du 2ème chasseurs mixte sous les ordres du colonel Jobey.
Les troupes de la division Jouffroy prenaient alors leurs positions au-dessus de Changé, appuyant leur droite à la gauche de la division Roquebrune à cheval sur la route de Parigné.
La division Deplanque, 1ère du 16e Corps, bordait ensuite le chemin aux Bœuf jusqu’à la Tuilerie, qu’occupaient les nouveaux contingents de Bretagne du général Lalande se reliant su leur droite aux troupes du général Barry.
A midi, l'action, dans le secteur aux ordres de l'amiral, se dessina sur la gauche par une vive fusillade partant des bouquets de pins aux abords de Changé. Deux régiments de la division de Jouffroy soutenaient ce premier effort. L'intention de l'ennemi paraissant être de tourner notre gauche et de pénétrer dans la vallée de l'Huisne, l'amiral y porta la Brigade Desmaisons qu'il avait maintenue comme réserve à Pontlieue, en même temps qu'il faisait appuyer de ce côté une partie de la division Roquebrune.
Le combat s'étendit bientôt jusqu'à la route de Parigné, devint de plus en plus acharné, et se continua avec des alternatives de succès et de revers. Vers trois heures, la gauche tenait bien, mais au centre nos troupes, qui avaient brûlé une grande partie de leurs munitions, commençaient à faiblir entre Changé et la route de Parigné. L'ennemi avait même pu se glisser dans les bois très-touffus en avant de ces positions, et s'approcher assez près de nos batteries de la route de Parigné pour faire craindre qu'il ne les enlevât. Les troupes du colonel Bérard venaient heureusement d'arriver - le 41ème de marche tomba à la baïonnette sur les assaillants, qu'il força à reculer après leur avoir fait des prisonniers, et put s'établir sur la route même, à douze cents mètres en avant de nos batteries, position qu'il conserva toute la journée, en repoussant avantageusement toutes les nouvelles attaques que les Allemands purent essayer[2].
Il convient de signaler que dans cette affaire, les avis divergent, le général Chanzy n’attribuant ce fait d’arme qu’au 41ème de Marche alors qu’il concernait également le 3ème Bataillon du 74ème Mobiles, celui de Mamers[3]. Le Père Stanislas s’en expliquera avec véhémence[4]. À cette approche tactique qu’en fait le général Chanzy, l’aumônier du bataillon délivre une description très réaliste de ces durs combats, livrés dans des conditions climatiques épouvantables par des soldats fourbus, mal équipés :
En effet, nous venions d'arriver sur le chemin aux Bœufs. La fusillade était terrible et se répercutait dans ces bois avec un bruit assourdissant et une fréquence inimaginable, à ce point que nous n'entendions presque pas le canon. On emportait de nombreux blessés, presque tous, les mains et le visage sanglants. A peine arrivés sur ce chemin aux Bœufs, à droite de la route de Parigné-l'Évêque, on nous développe en tirailleurs dans toute la longueur du bataillon, sauf une compagnie demeurée avec le colonel Bérard. Nos hommes avancent dans le bois à travers les arbres. D'abord nos mobiles tirent devant eux, il faut bien le dire, sans savoir où ; puis le bois devenant moins épais, le calme devenant de plus en plus maître d'eux, en voyant ce qu'ils font et se familiarisant avec ce vacarme infernal, ils distinguent très-bien les Prussiens à quelques pas d'eux, se glissant, s'avançant, s'embusquant, déjà s'étant retranchés dans un petit château et quelques bicoques... Il était clair que l'occasion se présentait de les aborder à la baïonnette.
Monsieur d'Orglande consulte notre jeune et hardi vétéran dans l'art de la guerre, le capitaine L***... Allons à la baïonnette ! Et nos hommes fondent sur les Prussiens avec un entrain de bon aloi. Les mobiles enlèvent les postes occupés par l'ennemi, le culbutent partout, délivrent quelques prisonniers français gardés dans ces positions.
Les Allemands se rendaient vite devant cet élan, ils se jetaient à genoux et criaient : « Grâce, grâce, bons Français! ». Nos mobiles, malgré leur projet de ne jamais faire de quartier, faisaient grâce en bons Français, aussi généreux que braves, à ceux qui le demandaient à genoux.[…]
On ne tua que ceux qui résistaient, et alors on les embrochait à la baïonnette, ou on les tuait d'un coup de feu dans la lutte ou quand ils se sauvaient. Et c'est ainsi que nos hommes s'avancèrent bien au moins à douze cents mètres au-delà des batteries postées sur les hauteurs de Parigné-l'Évêque).
La 4ème Compagnie des nôtres se trouva engagée assez avant dans le carrefour du bois du côté de Changé. C'est là que tomba son lieutenant Marchand qui faisait les fonctions de capitaine. Ce brave officier avait reçu en pleine poitrine une balle qui l'avait traversé de part en part. […]
Son sous-lieutenant D***[5], y reçut une balle qui lui laboura le crâne, du front derrière l'oreille. Nous avons eu ce jour-là trois ou quatre mobiles hors de combat.
Les blessés de toutes armes affluaient, presque tous atrocement atteints au visage, au front, dans la bouche, un grand nombre mortellement touchés. […]
C'était une terrible et émouvante scène. Un moment, vers cinq heures, un mouvement se produit dans ces bois : il semble que nos troupes se replient. C'est un régiment de marche à bout de munitions, qui revient, colonel en tête..., d'autres le remplacent et vers le soir nous entendons, ce qui manquait trop souvent, une marche de tambours et de clairons... Allons ! L’ardeur redouble, la fusillade paraît reprendre une nouvelle intensité, le canon et les mitrailleuses crachent leurs projectiles, sur la route de Parigné... De bonnes nouvelles circulent sur toute la ligne. — Les Prussiens sont repoussés partout
On se le dit, on se serre les mains, la journée est bonne[6] !
Dominique Mallet dans son ouvrage sur la bataille du Mans donne une relation similaire de cet épisode[7].
Interviendra alors la malheureuse affaire de la Tuilerie, redoute située à l’extrême droite des positions de l’armée française, en avant de Pontlieue, au Tertre-Rouge, sur le chemin aux Boeufs, emportée nuitamment par les Prussiens et qui déstabilisera tout le front. Vers onze heures ou minuit, la Brigade Le Bouëdec dans laquelle le Bataillon de Mamers a été incorporé est appelée pour une hypothétique contre-attaque afin de reprendre la position. Après une heure d'attente l’arme aux pieds, la mission s’avère impossible, chacun rentre dans ses positions. Les troupes sont fourbues, affamées, sans moyen de bivouaquer dans la neige et le froid intense qui règne.
Ce 11 janvier 1871, la bataille du Mans marque une nouvelle page de cette campagne de l’Armée de la Loire à laquelle le Bataillon de Mamers prendra place de belle manière, sans faiblir, en restant à son poste et ne battant en retraite qu’au dernier moment, alors que les positions se verront tournées par une progression de l’ennemi.
12 janvier
Le Bataillon de Mamers, ayant réintégré la division Roquebrune positionnée le long du chemin aux Bœufs, se bat jusqu’au 12 janvier sur la ligne de défense décidée par le général Chanzy. Les combats reprennent progressivement avec la même intensité que la veille alors que le bataillon bivouaque. La situation se complique lorsque la ligne qu’il occupe se trouve prise sous le feu croisé des obus provenant de la gauche du front et des tirs effectués par les troupes prussiennes ayant investi la Tuilerie à droite.
À 11h00, alors que le général de Roquebrune parcourt sa ligne sur le chemin aux Bœufs, il reçoit l’ordre de battre en retraite ; sa division sera la dernière à combattre encore le long du Chemin aux Bœufs[8] et franchira l’Huisne à Pontlieue. La brigade constituée, il faut le rappeler, du 41ème de Marche (lieutenant-colonel Tartrat[9]) et du 74ème de Mobiles est donc citée pour être la dernière à quitter la ligne de défense du Mans.
[1] Il s’agit du bataillon de Mamers.
[2] Antoine-Eugène-Alfred CHANZY, général, Campagne de 1870-1871 - La Deuxième Armée de la Loire, Paris, Éditions Plon et Cie, 7ème édition, 1876, p. 316.
[3] La mort au combat du lieutenant Henri Marchand, de Mamers, faisant fonction de capitaine de la 4ème compagnie en fournit la preuve.
[4] Dans une note de bas de page, le R.P. Stanislas s’en explique : « C'est donc par erreur que le général Chanzy, attribue ce fait d'arme au 41ème de Marche, qui a pu se trouver mêlé à cette attaque, ou faire quelque chose d'analogue, car il ne faut pas croire que dans ces cas les rangs et même les corps soient séparés comme à l'exercice; non, ainsi quelques chasseurs du 16e bataillon s'y trouvaient et tous nos hommes n'y étaient pas. — Mais tout ce que nous venons de dire est scrupuleusement historique, même dans tous ses détails. — Les officiers du 16e bataillon de chasseurs, le colonel Bérard, le général de Roquebrune, même l'amiral pourraient l'attester. ».
[5] Sous-lieutenant Doreau qui devint ensuite capitaine de la compagnie. Le Père Stanislas, dans ses mémoires déjà cités, ne donne jamais l’identité des personnes qu’il évoque, seulement les initiales. Le croisement des informations données dans son livre (compagnies) et l’état des officiers (Arch. Dép. Sarthe – 4R89 – Liste nominative de cadres à l’époque du licenciement) permet de reconstituer ces informations.
[6] R.P. Stanislas (F. M. Capucin), Impressions d’un aumônier de Mobiles à la 2ème armée de la Loire 1870-1871, Le Mans, Leguicheux-Gallienne, 1872, pp. 326 à 330.
[7] Dominique Mallet, rédacteur en chef de la Sarthe, La bataille du Mans, Le Mans – Imprimeur E. Champion – 1873 – Pages 145 à 148.
[8]« Nous étions donc les derniers à quitter la place » rappelle le R.P. Stanislas dans ses mémoires, Impressions d’un aumônier de Mobiles à la 2ème armée de la Loire 1870-1871, Le Mans, Leguicheux-Gallienne, 1872, p. 344.
[9] Antoine-Eugène-Alfred CHANZY, général, Campagne de 1870-1871 - La Deuxième Armée de la Loire, Paris, Éditions Plon et Cie, 7ème édition, 1876, p. 276.
14:17 Écrit par Ré-action dans Histoire, Livre et écrits | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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